Est-ce qu’il y a beaucoup d’ « affaires climat » dans le monde ?
Oui ! On compte environ 1 800 procès climatiques de par le monde. Ce n’est pas un phénomène nouveau : les premiers « procès climat » ont été intentés vers le milieu des années 2000, mais cela s’est accéléré ces dernières années, notamment suite à l’ affaire Urgenda aux Pays-Bas et à la conclusion de l’Accord de Paris fin 2015.
Comment expliquer l’accélération du phénomène ?
L’urgence de plus en plus criante de la crise climatique et la frustration face à la lenteur et la faiblesse des politiques climatiques alimentent certainement le développement de ce qu’on peut appeler la « judiciarisation des combats climatique et environnemental ». Par ailleurs, la multiplication des jurisprudences encourageantes partout dans le monde permet également au levier judiciaire de se développer rapidement et efficacement.
Les Pays-Bas, la Belgique, c’est le « Nord » mais quid du « Sud » qui est en première ligne ?
Oui, la majorité des affaires climat ont lieu dans les pays du Nord, les États-Unis étant largement en tête. Mais on constate une évolution claire du côté des pays du Sud, qui connaissent également des affaires très intéressantes comme en Colombie ou au Pakistan. Le contentieux climatique peut d’ailleurs constituer un formidable levier pour renforcer les droits des victimes des changements climatiques, par exemple en faisant évoluer la question des déplacés climatiques.
Qui sont les inculpés ? Qui est appelé à la barre ?
Ce sont les États qui sont appelés à la barre dans 75% des cas, comme en Belgique. Mais les affaires intentées contre les acteurs privés, et principalement les entreprises actives dans les énergies fossiles, se multiplient. On pense notamment à la victoire de sept associations néerlandaises contre le géant Shell aux Pays-Bas. La Cour néerlandaise a reconnu la responsabilité de l’entreprise pour ses activités à l’origine de la crise climatique et l’a condamnée à réduire ses émissions de 45% pour 2030. Une décision historique !
Y a-t-il déjà eu des réelles victoires ?
Oui, il y en a eu, plusieurs même ! Un exemple ? Le cas « Urgenda », aux Pays-Bas, où pour la première fois, un Etat a été condamné pour le manque d’ambition de ses politiques climatiques. Cette décision fait jurisprudence et inspire de nombreux procès, partout dans le monde.
C’est le cas également de notre « affaire climat » belge, ou « Klimaatzaak ». Le jugement de première instance donne largement raison aux 60 000 plaignantes et plaignants : les politiques climatiques belges sont insuffisantes et menacent donc de violer les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens belges. C’est un appel clair à rehausser l’ambition et surtout à améliorer les rouages de la gouvernance climatique en Belgique, à savoir la coordination entre le fédéral et les Régions wallonne, flamande et bruxelloise pour une politique climatique cohérente et ambitieuse.
Les condamnations sont-elles suivies de faits ?
Pour reprendre encore le cas Urgenda aux Pays-Bas, la condamnation de l’État a enclenché un processus de rehaussement des ambitions au niveau national, via l’adoption d’une nouvelle loi climat et l’organisation d’une consultation publique massive via la mise en place de tables rondes pour tous les secteurs.
N’est-ce pas un outil symbolique ?
Si de plus en plus d’actions ont des conséquences palpables, il est vrai que certaines décisions peuvent sembler avoir peu d’effet concret. Il faut comprendre que le levier judiciaire est un outil complémentaire aux différents modes d’actions utilisés pour lutter contre la crise climatique. Les « affaires climat » permettent aussi de remettre l’urgence climatique au centre des débats politiques et médiatiques et de faire pression sur les États et les grandes entreprises. Mais il est clair qu’il a ses limites et ce n’est certainement pas une fin en soi. Cependant, il constitue une opportunité unique pour mettre la pression et renforcer les politiques climatiques des États et les actions ambitieuses des entreprises polluantes.
Quels sont les avantages d’avoir recours à la justice ?
`Par exemple, le procès en tant que tel permet de renforcer et d’objectiver les demandes des victimes des changements climatiques. On demande au juge d’évaluer les politiques climatiques au regard de la science la plus actuelle sur le climat, notamment les rapports du GIEC, et non au regard de d’opportunités ou d’intérêts économiques ou politiques.
Par ailleurs, le caractère mondial et « partageable » du contentieux climatique permet aux différentes actrices et acteurs de par le monde de s’inspirer des affaires en cours et des différentes décisions rendues et de créer ainsi un mouvement collectif.