Climat : Le gouvernement De Croo donne le cap, reste à garantir les moyens

 (Crédit : © CNCD-11.11.11
Crédit : © CNCD-11.11.11

La déclaration de politique générale du nouveau gouvernement fédéral a le mérite de remettre la lutte contre la crise climatique au centre de ses priorités et de donner un cap clair pour y arriver. Cependant, le diable se cache dans les détails et ses engagements vont devoir être concrétisés, et surtout chiffrés, pour remettre la Belgique sur les rails de l’Accord de Paris. Décodage.

Une ambition affirmée, en ligne avec l’Europe

On peut saluer l’ambition climatique annoncée dans l’accord de gouvernement, tant au niveau de l’alignement sur le Pacte vert européen que pour le rehaussement des ambitions climatiques belges. En effet, le gouvernement fédéral « s’impose comme objectif une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et prend dans sa sphère de compétences les mesures en ce sens  ». Il est également positif que la contribution fédérale au Plan national énergie climat (PNEC) soit adaptée en ce sens. Cependant, il est dommage que le nouveau gouvernement n’ait pas opté pour un objectif comprenant également les émissions basées sur la consommation, comme l’a fait le gouvernement bruxellois. Rappelons par ailleurs que le Fédéral n’a pas beaucoup de leviers d’action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la plupart des domaines clés relevant des compétences des Régions, et qu’il est donc important que l’ensemble des entités se joignent à l’effort et renforcent la coopération intra-belge afin d’atteindre un objectif national plus ambitieux.

Une volonté de renforcer (enfin) la coopération intra-belge

Le fait que la gouvernance climatique belge soit un frein clair à l’action climatique de notre pays n’est plus un secret pour personne. On salue à cet égard la mention à plusieurs reprises dans le document de la volonté du Fédéral de vouloir renforcer la coopération avec les entités fédérées. Plus intéressant encore, on retrouve dans l’accord de gouvernement la volonté d’améliorer la coopération intra-belge via une proposition de révision de l’article 7bis de la Constitution, pouvant découler sur l’adoption d’un accord de coopération ou d’une loi interfédérale sur le climat. Cette demande n’est pas neuve et c’est elle qui a d’ailleurs amené le CNCD-11.11.11, avec de nombreuses autres organisations, à occuper la rue de Loi en avril 2019 pour demander une loi spéciale climat. Etant donné les difficultés observées dans le passé autour de cette proposition, une option de retrait mériterait cependant d’être envisagée : l’adoption d’une loi fédérale climat, garantissant notamment la stabilité des objectifs fédéraux et la mise en place d’un comité d’experts indépendant. C’est d’ailleurs l’option qui a été privilégiée par les régions wallonne et bruxelloise.

Par ailleurs, un autre élément absent de la discussion sur la gouvernance climatique est la question de l’amélioration substantielle du fonctionnement et du mandat de la Commission nationale climat. Organe par excellence de la politique climatique intra-belge, cette dernière est le résultat d’un accord de coopération datant de 2002, qui d’une part est appliqué de manière parcellaire et d’autre part devrait être urgemment révisé pour être en ligne avec les mécanismes de gouvernance européenne (directive Gouvernance, Pacte vert européen) et internationale (Accord de Paris). Enfin, la mention d’une évaluation objective des objectifs climatiques est bienvenue, ainsi que la volonté de le faire en concertation avec différents acteurs via « des tables rondes consacrées au climat. »

La Belgique prend ses responsabilités vis-à-vis des pays en développement

Grand point positif de cet accord, l’engagement pour augmentation de la contribution au financement climat international. Celle-ci est en effet très attendue, lorsqu’on sait qu’à quelques mois de l’échéance, les pays développés – dont la Belgique – sont loin d’avoir respecté leur engagement d’atteindre l’objectif collectif de 100 milliards de dollars annuels pour soutenir les pays en développement face à la crise climatique. Cependant, aucun montant clair n’est mentionné dans le document. Le CNCD-11.11.11 et la Coalition climat estiment que sur base d’une répartition internationale équitable, la contribution de la Belgique devrait s’élever à 500 millions d’euros par an.

Depuis 2013, entre 84 et 99% du financement climat belge étaient rapportés comme aide publique au développement

Par ailleurs, le fait de préciser que cette contribution sera additionnelle au budget de coopération au développement est essentiel et dénote totalement avec les pratiques du passé en matière de financement climat. En effet, depuis 2013, entre 84 et 99% du financement climat belge étaient rapportés comme aide publique au développement, ce qui est dénoncé par le CNCD-11.11.11 depuis de nombreuses années. Il est en effet crucial que cet engagement pour un financement climat additionnel soit fait en parallèle de celui du respect de l’engagement d’allouer 0,7% du RNB à l’aide publique au développement.

Enfin, l’annonce que « la répartition intra-belge de cet effort sera achevée dans les meilleurs délais » est fondamentale. Il est fait ici référence au nouvel accord de coopération qui doit être conclu sur la répartition des objectifs climatiques et énergétiques belges, pour la période 2021-2030, qui intègre également la question du financement climat international. Ce dossier doit être prioritaire, notamment parce que l’engagement belge pour le financement climat international expire le 31 décembre 2020. En revanche, on regrette l’absence de toute mention aux pertes et préjudices liés à la crise climatiques, ainsi qu’à la reconnaissance dans ce cadre de la problématique croissante des déplacés climatiques.

Financer et investir : point d’interrogation pour le gouvernement De Croo

On peut saluer la volonté du gouvernement fédéral de se mettre en conformité avec les demandes de la Commission européenne [1] et de vouloir développer un plan interfédéral d’investissement, en ligne avec le Pacte vert européen. Par ailleurs, l’annonce de réduction des investissements dans les énergies et combustibles fossiles est un premier pas, tout comme la volonté de l’Etat fédéral de ne plus investir dans des « entreprises à forte émission de gaz à effet de serre qui ne sont pas engagées dans la transition énergétique », d’ici 2030.
Ce faisant, la Belgique se rapproche de ce qui est demandé par l’Accord de Paris, à savoir de « rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques » (article 2.1 c)). Par contre, le document reste silencieux quant à la sortie progressive du système des voitures de société, il est uniquement prévu de les rendre « zéro émission » d’ici à 2026. A ce titre, on suivra avec attention le positionnement de la Belgique dans le débat qui démarre autour des nouvelles sources de financement de l’Union européenne, notamment la proposition renouvelée de mettre en place une taxe sur les transactions financières, qui pourrait garantir 50 à 60 milliards d’euros de recettes supplémentaires, selon les chiffres de la Commission.

Une « fiscalité favorable au climat et à l’environnement »

L’annonce du gouvernement de rendre sa fiscalité environnementale plus durable semble ambitieuse, basée sur le principe du « pollueur-payeur », le diable se cachant bien sûr dans les détails. Sans le nommer explicitement, le gouvernement veut examiner le principe d’un instrument fiscal visant à « décourager le plus possible l’usage des combustibles fossiles ». Si une contribution carbone semble à bien des égards être un levier d’action efficace contre la crise climatique, il est indispensable (et c’est une condition sine qua non) que celle-ci n’impacte pas défavorablement les personnes déjà vulnérables et précarisées. Toujours selon ce même principe, le gouvernement annonce vouloir travailler avec les pays voisins dans son application aux secteurs aérien et de la navigation. Il s’engage également en faveur de la révision de l’exonération actuelle de taxe sur le kérosène, aux niveaux européen et international.

Si une contribution carbone semble à bien des égards être un levier d’action efficace contre la crise climatique, il est indispensable (et c’est une condition sine qua non) que celle-ci n’impacte pas défavorablement les personnes déjà vulnérables et précarisées

Une politique climatique socialement juste ?

L’organisation d’une conférence nationale sur la transition juste était attendue depuis longtemps. Un événement qui aborde « les défis en matière d’emploi, de politique sociale, de requalification et d’économie » est en effet indispensable dans le cadre de la mise en œuvre de politiques climatiques qui soient ambitieuses mais aussi socialement justes. Attention toutefois à ce que cet événement ne soit pas un événement isolé mais bien l’enclenchement d’un processus de réflexion sur le long terme, participatif et transparent. Par ailleurs, on peut se poser des questions sur la quasi-absence de la dimension sociale dans les mesures et politiques climatiques annoncées. Ceci doit être un point d’attention pour assurer que ces dernières soit justes et équitables pour tous et toutes, avec une attention claire pour les publics les plus vulnérables. Notons toutefois qu’un paragraphe, assez bref, est dédié à la précarité énergétique.
 

Pour une reconstruction réellement durable, résiliente et juste

On l’aura compris, un des points centraux du nouveau gouvernement se trouve dans la reconstruction post COVID-19 et la gestion de l’après crise. La situation économique et sociale du pays nécessite effectivement de prendre des mesures drastiques, notamment en termes d’investissements. Cependant, il ne serait pas acceptable d’alimenter à nouveau un système injuste et hautement émetteur de CO2 alors que nous avons l’occasion d’en sortir et de reconstruire mieux et différemment. S’il est positif de lire que les investissements destinés à soutenir la transition énergétique seront « considérablement augmentés » dans ce cadre, cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi il paraît essentiel d’établir une conditionnalité claire et contraignante à ces investissements en termes d’objectifs climatiques et environnementaux. Il faut en effet évaluer la pertinence des aides d’Etat de manière à prioriser les secteurs durables et verdir les autres secteurs. On peut saluer l’exclusivité de mesures de soutien pour les entreprises « actives dans les paradis fiscaux et qui ne peuvent prouver une nécessité financière ou économique légitime ». Par ailleurs, l’accord de gouvernement fait mention de la mise en place d’un organe chargé « d’alimenter, d’évaluer et, le cas échéant, de faire des recommandations du plan de relance et transition ». La question est de savoir quelle est la place de la société civile dans cette consultation et si elle sera invitée à la table comme le demande la Coalition Climat [2].

Plus question de perdre le Nord, il est temps d’avancer

Le cap semble être donné. L’équipage doit désormais se donner les moyens d’arriver à bon port. Au-delà de l’ambition climatique annoncée, il est essentiel que le gouvernement De Croo s’assure que l’ensemble de ses politiques soient cohérentes avec l’Accord de Paris et le Green deal européen, mais aussi avec les principes de justice sociale, de transition juste et de respect des droits humains. Seule une politique cohérente et équitable pourra mettre la Belgique sur la voie de l’Agenda 2030 et des 17 objectifs de développement durable.